Des nouvelles d’Amury Girod, le Patriote enterré à l’intersection des rues Sherbrooke et Saint-Laurent
C’est en 2007 que nous avons commencé à raconter dans nos circuits l’histoire d’Amury Girod, chef patriote enterré à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sherbrooke. Une publication de l’Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles nous avait fait connaître l’histoire du Patriote traqué par la milice britannique, mort au Bout-de-l’île en 1838 après une tragique chevauchée de nuit en pleine tempête de neige. Souvent, devant la station-service Esso qui honore l’angle nord-ouest du carrefour Saint-Laurent-Sherbrooke, nous avons proposé qu’une plaque y soit apposée pour signaler que les ossements de Girod se trouvaient quelque part sous l’asphalte. Or, nous venons d’apprendre qu’il n’en est rien : Girod ne s’y trouve plus ! Il a bien été enterré à l’angle des rues Sherbrooke et Saint-Laurent, mais dans les années 1850, sa dépouille a été transférée au cimetière protestant Mount Royal. C’est du moins ce que nous dit André B. Papineau, cousin de Louis-Joseph Papineau, dans un récit transmis par le fils de Louis-Joseph, Amédée Papineau. Selon André B. Papineau :
Le récit d’André Papineau
[En 1838 le corps de Girod], apporté à la ville, y est aussitôt jeté dans un trou creusé au centre de l’intersection des rues Saint-Laurent et Sherbrooke, tout nu, sans cercueil, et avec un épieu plongé dans le cœur. Jugement et mœurs de féodalité anglaise contre un traître-suicide.
À l’époque, on trouvait d’ailleurs à l’intersection des rues Sherbrooke et Saint-Laurent la villa de John Molson fils (1787-1860), ennemi acharné des Patriotes :
André Papineau poursuit :
Quinze à vingt ans après, des ouvriers en creusant pour les tuyaux de l’aqueduc, trouvèrent ses os et les portèrent au coronaire [sic] Jones. Celui-ci, à nos instances, les remit à l’Institut canadien. Nous achetâmes une fosse au cimetière protestant de Mount Royal; et, en procession de l’Institut, nous allâmes déposer ces reliques d’un homme, agriculteur éclairé et républicain suisse qui avait beaucoup écrit agriculture et politique dans nos journaux canadiens. Reste à marquer sa fosse d’une pierre tumulaire. À côté de lui, gît un Desjardins, avocat, mort franc-maçon et par ses confrères inhumé chez les protestants.
(Amédée Papineau, Souvenirs de jeunesse 1822-1837, pp. 132-133).
Questions lancinantes
Est-il possible de trouver le lieu où Amury Girod est enseveli au cimetière Mount Royal ? Sa tombe a-t-elle été marquée d’une pierre ? Pourrions-nous retrouver celle de l’avocat Desjardins ? Autant de questions lancinantes auxquelles nous espérons répondre un jour… et nous y arriverons peut-être en lisant l’ouvrage de Philippe Bernard, Amury Girod : un Suisse chez les Patriotes du Bas-Canada, qui se trouve actuellement sur notre table de chevet.
L’histoire d’Amury Girod
En attendant, le Dictionnaire biographique du Canada et le fascicule de Pierre Desjardins de l’Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles, « Le mouvement patriote à la Pointe-aux-Trembles 1834-1846 », nous fournissent les renseignements suivants sur Amury Girod.
Sur les origines précises d’Amury Girod, les certitudes manquent et l’on en est réduit au plausible. Il serait né, un peu avant 1800, dans l’un des cantons suisses qui sont à proximité des départements français de l’Ain, du Jura et du Doubs. Il aurait reçu son éducation dans l’une des écoles qu’avait créées Philipp Emanuel von Fellenberg, à Hofwyl, en Suisse. Il serait passé ensuite en Amérique, où il aurait servi dans l’armée de libération de Simón Bolívar. Il aurait été également lieutenant-colonel de cavalerie au Mexique (1828–1829) et il aurait combattu avec les Mexicains contre les Espagnols. À cela il faudrait ajouter un séjour d’une année ou deux aux États-Unis. Ce passé, assez extraordinaire, permettrait de comprendre qu’à son arrivée au Bas-Canada l’homme connaissait à la fois le français, l’allemand et l’italien, mais aussi l’espagnol et l’anglais. (Dictionnaire biographique).
En 1832, Girod cherche à créer à Québec une école d’agriculture en partenariat avec Joseph-François Perrault. Ce projet n’aboutit pas. On le retrouve ensuite dans la région de Montréal : en 1833, il épouse Zoé Ainsse, fille du seigneur de l’île Sainte-Thérèse. Le mariage a lieu dans le Vieux-Montréal à l’église Scotch Presbyterian (dite aussi église de la rue St. Gabriel). Les Girod s’établissent à l’île Sainte-Thérèse où Girod devient cultivateur, mais c’est un cultivateur qui écrit beaucoup : essais, articles et livres sur l’agronomie, la vie sociale, l’administration de la justice, les finances publiques, la tenure seigneuriale, les moyens de transport, les tensions croissantes entre le Canada et la Grande-Bretagne, et d’autres sujets encore.
Il témoigne aussi devant divers comités de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada, notamment sur la question des terres et de l’agriculture, sur l’éducation et sur le projet de l’établissement d’une école normale, voire sur la question des pénitenciers. On comprend que son exploitation agricole de l’île Sainte-Thérèse ne soit pas devenue un modèle de réussite (Dictionnaire biographique).
Fortement engagé dans le mouvement patriote depuis son arrivée dans la région de Montréal, en 1837 Girod va jouer un rôle important dans le mouvement armé du comté des Deux-Montagnes où il est l’un des chefs militaires.
En décembre 1837,
Amury Girod et le docteur Chénier commandaient les Patriotes à Saint-Eustache. Contrairement à Chénier qui périt en héros, Girod quitta Saint-Eustache avant l’assaut final des troupes britanniques. Pour aller chercher de l’aide auprès du docteur Girouard à ses dires, par lâcheté d’après ses détracteurs (Pierre Desjardins).
Après la défaite de Saint-Eustache, Girod retourne vers l’est de l’île de Montréal. Un patriote de Rivière-des-Prairies le trahit, avertissant les miliciens britanniques de sa présence. Le 17 décembre, après une aventureuse poursuite nocturne pendant une tempête de neige, la troupe le rejoint au Bout-de-l’Île où il meurt. Sa mort est généralement considérée comme un suicide (mais Pierre Desjardins estime qu’il a plutôt été abattu par la milice).
Pour en savoir plus
Jean-Paul Bernard et Danielle Gauthier, « Amury Girod », Dictonnaire biographique du Canada, http://www.biographi.ca/FR/ShowBio.asp?BioId=37527&query=Girod.
Philippe Bernard, Amury Girod : un Suisse chez les Patriotes du Bas-Canada, Sillery, Septentrion, 2001.
Pierre Desjardins, « Le mouvement patriote à la Pointe-aux-Trembles 1834-1846 », Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles, novembre 2003.
Amédée Papineau, Souvenirs de jeunesse 1822-1837, Sillery, Septentrion, 1998, pp. 129-133.